Entreprendre et diriger avec altruisme

Entreprise, altruisme…Sortir de la dualité

Quelles sont d’abord les définitions sur lesquelles nous appuyer pour traiter ce sujet ?

J’en retiens deux qui reflètent ma vision :

La première est simple : » Entreprendre avec altruisme, c’est défrendre le bien commun avant le gain particulier « . Je la complèterai avec cette seconde définition : « Entreprendre avec altruisme, c’est avoir une inclinaison à agir en tenant compte des intérêts d’autres personnes, et en l’absence d’arrière-pensées ».

En quoi est-ce intéressant pour l’entreprise de déployer l’altruisme en action ?

Nous pourrions, pour certains d’entre nous, imaginer un paradoxe entre la finalité classique attendue de l’entreprise et l’altruisme.

Sans doute… si l’on reste figé sur le paradigme de l’ère industrielle – qui à travers son objectif quasi unique de productivité a fini par oublier de considérer la nature profonde (besoin d’utilité, de sens, d’épanouissement, de liens …) de tout être humain.

N’utilisons-nous pas le terme de « ressources » humaines au même titre que » ressources matérielles, techniques, informationnelles, juridiques etc » ?

L’ère industrielle a vécu et ne répond plus au niveau d’évolution des hommes et des femmes qui travaillent dans les organisations. Le rapport au travail a évolué, les générations Y et Z, de manière plus consciente et affirmée, revendiquent la satisfaction de leurs besoins liés à l’accomplissement de soi, l’éveil des consciences s’accroît, l’organisation des entreprises évolue pour répondre…

Il est dommage qu’un grand nombre d’entreprises se prive et prive le collaborateur d’exprimer tout son potentiel en favorisant ses valeurs profondes, son intelligence émotionnelle et relationnelle et de son besoin de réalisation.

Comme le dit Stephen Covey dans la 8ème habitude, nous sommes passés de l’âge industriel à celui de l’ouvrier du savoir et de l’information, avec un impact conséquent sur le management des organisations.

Le paradoxe est-il si profond qu’il apparait de prime abord ?

Après tout, la vision purement économique et la vision altruiste ont un point commun important : leur but est essentiellement la satisfaction des besoins – au sens large- de l’être humain.

La grosse différence est que l’économie telle qu’elle a été déployée depuis des siècles, a essentiellement servi le bien-être d’une partie de l’humanité au détriment d’une autre, alors que l’altruisme vise le bonheur de tous les êtres vivants.

Et si l’altruisme en action, en reconnectant les buts poursuivis par l’entreprise à l’humanité de ses acteurs, donnait envie à chacun de déployer son individualité, son potentiel, sa motivation, ses talents au service de la réussite commune ?

Et si entreprendre avec altruisme avait pour conséquence – et non pour but- de créer de la richesse au sens large (humaine, environnementale, financière etc.) ?

J’ai cette croyance – partagée par de nombreux économistes, philosophes, neuroscientifiques, sociologues, maîtres spirituels – que le dirigeant de demain, celui qui contribuera au changement du monde, aura envie de conjuguer valeurs altruistes avec efficience entrepreneuriale, pour le bonheur de tous.

Ainsi, l’altruisme en action, permettrait à l’Entrepreneur d’augmenter son bien-être, celui des autres – d’abord des acteurs de son écosystème, puis grâce à l’effet papillon, celui du monde.

Développer la pratique de l’altruisme en entreprise, utopie ou bon sens ?

La réponse à cette question passe par le débat déjà ancien qui oppose la vision de l’égoïsme universel largement répandue de la psychologie occidentale à celle plus récente – et plus scientifique- défendue par nombre de neuroscientifiques, sociologues et psychologues, de la nature humaine fondamentalement altruiste.

Daniel Batson, psychologue américain, qui travaille sur le sujet de l’altruisme depuis de nombreuses années, a démontré de manière très convaincante, avec son équipe, à travers plus de 35 expériences, que l’altruisme véritable existe bien et que l’égoïsme est loin d’être la seule motivation humaine pour agir.

De même, Ernst Fehr– Professeur de microéconomie et d’économie expérimentale ; directeur du département d’économie à l’Université de Zurich – à travers son « expérience du dilemme social », réfute l’hypothèse longtemps établie selon laquelle l’intérêt personnel est la seule motivation prévalant dans le monde économique.

Il démontre que « l’altruisme accroît également le volume des échanges naturellement bénéfiques. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes plus enclins à respecter nos engagements sociaux s’il y a des personnes dans notre société qui se comportent ou qui punissent de manière altruiste. L’altruisme concourt à renforcer les règles de coopération qui constituent le fondement même de la culture humaine, de la démocratie moderne et des libertés individuelles. »

L’altruisme apparait donc comme une voie intermédiaire permettant de combler soi et l’autre, en transcendant l’égocentrisme en interdépendance conscientisée et assumée.

S’appuyer sur l’altruisme en action aiderait la mise en place d’un projet d’entreprise en redéfinissant ses valeurs humaines autour de l’empathie, de la confiance, de la coopération entre autres.

La pérennité de l’entreprise s’appuierait alors solidement sur l’adéquation entre les valeurs proposées et celles portées par chaque acteur d’aujourd’hui et de demain, contribuant à sa réussite.

Entreprendre et diriger avec altruisme correspond pour moi, à inverser la logique de raisonnement pour développer son entreprise : la focalisation de l’entreprise n’est plus purement financier mais devient le bien-être de tous les humains et du changement du monde et grâce à cette focalisation, qu’elle créera de plus en plus de richesse QUI A DU SENS.

Logique bien résumée, il me semble par Fabrice Lacroix Président Fondateur de la Société Antidot à Lyon, quand il dit :

« Ce qui compte dans l’entreprise, ce n’est donc pas l’argent qu’on va gagner à court terme, mais de ne jamais traiter un client de manière injuste, pour sa seule satisfaction immédiate. Si l’entreprise en tant que « personne morale » est juste, alors elle s’épanouira ». »

De la réflexion à l’action… comment s’y prendre ?

Si la question du « pour quoi » entreprendre et diriger avec altruisme, semble trouver de plus en plus facilement de réponses au regard des nombreuses études et expériences scientifiques menées ainsi qu’à travers des témoignages de plus en plus convaincants (je vous invite à lire l’article scientifique « Qui sème le bonheur récolte la performance » – Psychologie Quebec/ Dossier Volume 30/numéro 05/ Septembre 2013), la question du « comment » reste à explorer.

Comment inverser le lien de causalité entre création de richesse et bien-être, épanouissement de tous et changement du monde ?

Quel changement de perception, de paradigme devons-nous mettre en place pour entreprendre et diriger avec altruisme et par où commencer ?

Comment transformer nos réflexions, nos actions pour les orienter vers l’épanouissement de tous ?

Bien entendu, il n’y a pas, à mon sens, de réponse unique, dogmatique qui prendrait en compte la diversité de la réalité des dirigeants d’entreprise et des entreprises. Il y a des pistes que chacun pourra choisir de suivre (ou pas) pour trouver ses propres solutions à des questions toutes aussi personnelles.

Quelles sont ces pistes ?

De manière non exhaustive, je vous en propose quelques-unes.

Il me semble que la première question à travailler est « Comment développer en soi, la qualité d’altruisme ? » dont la réponse passe d’abord par la compréhension et l’appropriation des fondements de l’altruisme.

Nous pouvons, pour nous y aider nous appuyer sur les travaux de neuroscientifiques comme Tania Singer et de psychologues, psychiatres comme Richard Davidson, qui expliquent que les fondements de l’altruisme fondamental qui est en nous, sont l’empathie et la compassion.

Cela nécessite pour accorder de l’importance au bien-être d’autrui et percevoir ses besoins, de comprendre d’abord nos propres émotions pour les reconnaître chez l’autre et ainsi « adopter la perspective cognitive de l’autre ».

La qualité d’altruisme peut également être activée, suivant –entre autres- les démonstrations faites par la science bouddhiste, confirmée par les neuroscientifiques et les économistes, par la compréhension de l’inter connection et de l’interdépendance de chacun d’entre nous avec l’ensemble de la planète.

Après cette première et importante question, notre réflexion peut porter sur « comment utiliser cette qualité pour la mettre en action » dans le management de l’entreprise ?

Là-aussi quelques pistes à explorer, comme…

  • Développer une vision holistique qui prenne en compte une perspective plus large des impacts de nos décisions à court, moyen et long termes, sur l’écosystème au sens large de l’entreprise et l’environnement élargi,
  • Revisiter notre posture de leader pour la placer au cœur du service aux collaborateurs et acteurs de l’entreprise et de la société,
  • Valider la cohérence de toutes nos actions au service des valeurs humaines plutôt que des valeurs matérielles.

Etc.

Et finalement si « Entreprendre et diriger avec altruisme » se résumait simplement à comprendre et mettre en place les fondements de ce qui nous rend véritablement heureux ?

En conclusion, il m’apparaît pertinent de considérer l’entreprise et les chefs d’entreprise, comme vecteurs essentiels (et d’ailleurs plusieurs déjà, se posent depuis de nombreuses années, en exemples de ceci) d’essaimage de l’altruisme en action, pour contribuer à une évolution positive et partagée.

Pourquoi le chef d’entreprise ?

Parce qu’il me semble disposer encore d’une certaine indépendance et liberté d’actions au sein de son entreprise, qu’il est libre d’optimiser « pour « créer, s’adapter, être à l’écoute des changements du monde, des besoins de chacun, en décidant d’oublier le pouvoir « sur » les autres, sur le monde, qui n’est qu’un leurre stérile.

Parce que ses actions, ses décisions impactent un certain nombre de personnes, et que prendre conscience de leurs conséquences à court, moyen et long termes, participe, à mon sens, de la responsabilité humaine.

Comme le montre Jérémy RIFKIN, dans son livre « Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie », l’homme est désormais condamné à remodeler sa conscience : nous devons parvenir au cours de ce XXIe siècle à un état d’esprit proche de l’empathie universelle, qui témoignera de l’aptitude de notre espèce à survivre et à prospérer.

Alors faites-vous partie des chefs d’entreprise précurseurs, qui en conscience de leurs responsabilités, participent au développement d’une société plus humaine, en allant au-delà de la notion de responsabilité sociale de l’entreprise ?

Je ne peux que vous inviter, le cas échéant, à vous appuyer, en fonction de vos besoins, sur un certain nombre d’outils pertinents comme le développement personnel, l’intelligence émotionnelle, le leadership équilibré qui permettent à tout manager de s’appuyer aussi bien sur ses caractéristiques masculines que féminines, les neurosciences, la communication interpersonnelle (liste non exhaustive).

Pascale Richard
En finir avec le concept de l’emploi
Vers un modèle d’entreprise durable

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