Le droit et le management

Les dernières statistiques officielles publiées par le ministère de la Justice (INFOSTAT JUSTICE Février 2009 N°105) font état que 71 % des jugements de conseil de prud’hommes sont favorables au demandeur, c’est à dire au salarié, sachant que les demandes introduites par les employeurs représentent 0,7% des cas.

Le droit n’est pas la morale

Le juriste le sait. Sans doute la raison pour laquelle, rendre la justice relève d’un exercice compliqué. C’est le travail de la preuve qui marque la bonne foi et le réalisme des parties engagées dans un travail de réparation d’un préjudice. Car s’il y a justice à rendre, c’est qu’un préjudice a été commis entre des personnes qu’elles soient physiques ou morales.

Depuis plusieurs années, les relations entre le salarié et son employeur semblent souffrir de la confiance pourtant nécessaire au contrat social et professionnel qui les lie dans l’entreprise. Les risques prud’homaux sont devenus une hantise, à en croire les affaires de prud’hommes et les craintes exprimées de certains employeurs. Certains salariés, une fois engagés dans l’entreprise, n’hésiteraient plus à se servir du droit pour obtenir des dédommagements abusifs. C’est que le droit n’est pas la morale. En règle générale, le plaignant a préparé sa plainte et constitué les preuves tangibles de sa bonne foi. Le présumé fautif n’a plus qu’à démontrer sa non culpabilité en apportant ses propres preuves. La sanction est alors entre les mains du juge ou des jurés. Ils orienteront leur choix selon leur compréhension de la situation. Ainsi va la justice des hommes, car ce sont bien eux qui jugeront au final. La justice n’est pas parfaite.

Il faut donc tout préparer pour éviter une injustice. S’abandonner au contexte d’abus de droit de certaines personnes salariées, reviendrait à s’affranchir d’une totale défiance dans les relations humaines. Ne faire confiance à rien et à personne. Tout doit donc être vérifiable à priori. C’est le sens même de la logique de traçabilité absolue. De quoi devenir totalement paranoïaque. Bref, un calvaire, un monde de suspicion rendant infernale la vie entre les hommes. Un enfer. Une société qui ne se construirait que sur la seule application de la loi (à la lettre) est une société judiciaire. Certains diraient une société à l’américaine, où rien ne se fait sans un avocat.

Pour restaurer (ou instaurer) la confiance dans les rapports entre les hommes. C’est la vertu du management. Il ne peut y avoir rapports humains confiants sans loi, sans règle mais il ne peut y avoir de respect de la loi et des règles sans la morale (esprit de la lettre). Car il faut de la moralité dans les rapports entre les personnes. Dit autrement, il n’y a pas de droit sans devoir. Il ne faut pas s’abandonner à la suprématie du droit au même titre qu’il ne faut pas s’abandonner à la suprématie du management. Dans ces 2 cas, le despotisme s’impose à l’intelligence des relations entre les hommes. La manipulation prend le dessus sur le management et la justice.

Que ce passe t-il dans la relation salarié – employeur ? Depuis plusieurs décennies, nous assistons à un effondrement de la crédibilité des institutions publiques et privées, entraînant une perte de confiance. Cette perte de confiance aboutit à la résignation, voire la désespérance de voir les choses s’améliorer. Quand la confiance s’étiole, la défiance prend le relais et avec elle l’envie puis la liberté de ne plus respecter le collectif, de se servir du système plutôt que de le servir. La recrudescence de plaintes « abusives » aux prud’hommes, relèverait elle d’un abus de droit ? Ou d’une pratique sans gène et sans retenue : « mon intérêt d’abord et avant tout » ? 93% des plaintes sont relatives à la rupture du contrat de travail. Il faut rester prudent. Une analyse des plaintes s’impose. Seulement 0,7 % des plaintes sont formulées par les employeurs. Or, un juge, « juge » sur pièces et pas sur la bonne foi.

Modèle économique et modèle de société obligent

Il existe pour autant un espace pour remettre les intérêts individuels et collectifs dans le même sens. C’est le retour du management de la morale et du sens de l’engagement. La liberté offerte par le droit du travail engage les deux parties au respect des responsabilités. Celles-ci doivent être franches et animées.

Dans notre monde moderne, la confiance est un moteur important dans l’efficacité des organisations. L’autonomie et le partage des responsabilités sont devenus indispensables dans l’organisation du travail. Dans le même temps, les représentations et modèles sociaux se sont élargis à la dimension de la diversité des populations composant la société civile. Ainsi, la dualité entre l’engagement dans un collectif de travail et la gestion de l’intérêt particulier est devenu un nœud de tension (constructif ou destructif) autant pour la personne que pour le dirigeant qui a à conduire le collectif. La morale de notre histoire moderne évolue vers la responsabilité individuelle et renforce le besoin de manager le sens de l’engagement pour chaque personne physique. Elle évolue vers le maintien de l’équilibre entre l’intérêt de la personne et le respect de l’engagement mutuel.

Il n’y a pas de liberté assumée sans accepter le prix de la responsabilité. On ne peut pas impunément vouloir tirer toutes les couvertures vers soi, sans être conscient de flouer une partie du collectif. De même, on ne peut pas impunément vouloir tirer toutes les couvertures vers le collectif sans être conscient de flouer en partie la personne. A ce titre, le travail du manager n’est plus uniquement de s’assurer de la motivation des équipiers, il est aussi de construire la mobilisation sur le projet commun, le projet de l’entreprise. Ceci est d’autant plus vrai quand la construction d’une équipe pérenne est indispensable à la réussite des objectifs. Cela est moins (voire pas) nécessaire si l’intérêt et l’engagement de l’individu revêtent un caractère passager, éphémère dans le projet collectif.

L’évolution des mœurs, de plus en plus nomades semble faire émerger un nouveau modèle social entre la personne et l’entreprise. D’un côté, l’entreprise recherche des collaborateurs à capacité d’autonomie et d’engagement fort tout en ne garantissant plus un contrat à long terme. De l’autre, le collaborateur conditionne son engagement à la capacité de l’entreprise à lui fournir un intérêt certain.

Les mœurs et l’économie ne font pas toujours ménage de façon synchrone. A regarder la vitesse de transformation des conditions de vie, des connaissances et des libertés espérées et accessibles, nous pouvons admettre que de nouvelles formes et capacités de négociation du contrat social s’imposent.

Le manager gestionnaire de ces dernières années devra être plus un animateur et mobilisateur des relations humaines. Son professionnalisme repose plus sur sa capacité à créer les conditions de responsabilité et d’autonomie de ses équipiers, que sur sa capacité à maîtriser le champ d’expertise de son unité. Créer la confiance, respecter les engagements négociés, équilibrer les intérêts du collectif et de l’individuel, s’appuyer sur les désaccords et les différences de point de vue, sont les compétences recherchées du manager d’aujourd’hui et de demain.

Sa capacité à négocier des compromis responsables pour construire des engagements assumés par toutes les parties sera fortement recherchée dans les temps qui viennent.

Les profils Leader/Manager sont à nouveau recherchés.

Patrick Devliegher
SARL Institut Cultures et Stratégies d'Entreprise
Stimuler notre encadrement
La cohésion d’équipe

M’abonner aux Dossiers d’experts

Formulaire à ajouter

Les derniers dossiers

Quand Twitter enlève sa liberté de parole à Trump : arbitraire ou arbitrage ?
Davantage de conscience et d’efficacité dans l’entreprise en conjuguant leadership et spiritualité
Et si la réussite d’une entreprise et son développement passaient par la responsabilité individuelle de ses salariés ?
L’organisation en mode réseau : Efficace à condition de changer notre façon d’être en relation
L’organisation apprenante : clef de l’agilité dans un monde instable