Stimuler notre encadrement

De quel constat partir ? Quelle nouvelle donne ?

Réfléchir à cette question, c’est avant tout s’arrêter sur le contexte actuel dans lequel nous sommes et qui rend la réponse complexe voire paradoxale.

Nous vivons une époque où la relation au travail, et par conséquent à l’entreprise, parait ambiguë et malmenée. En effet, d’aucuns nous bercent d’illusions sur la réussite facile, exempte d’effort. D’autres sur la tentation que seuls nos désirs permettent d’accéder à la réussite. Ce qui consiste à croire que la contrainte et l’effort ne font plus recette ; à l’image des réseaux sociaux : « Je veux être reconnu vite et par le plus grand nombre ». Ainsi pour une majorité d’individus, le droit se situe avant le devoir, et parfois être du ressort de l’accessoire.

Paradoxalement, cette exigence du « moi d’abord » fait naitre une certaine défiance à tout ce qui pourrait ressembler à une règle, un cadre, une exigence, envers celles et ceux qui les portent ou en sont les garants.

Les principes de subordination et de fidélité à une organisation semblent des notions dépassées et plus d’actualité.

L’entreprise, à sa façon et pour des raisons bien différentes, contribue à ce courant de remise à plat de la relation et d’émancipation des individus.

Des concepts comme « équipe autonome de production », « entreprise libérée » accentuent et accélèrent cette légitimité de chacun à vouloir se confronter, à ne pas rendre compte systématiquement, mettant à mal un encadrement intermédiaire pas toujours préparé et armé à ces nouveaux jeux de relation.

La défiance à l’égard de l’entreprise trouve un autre ressort dans l’incapacité de celle-ci à proposer seule aujourd’hui un quelconque projet de carrière ou simplement de développement. Bien au contraire, cette dernière ne peut plus garantir une stabilité, que nombreux appelleront à l’inverse précarité, comme par le passé. L’individu doit se réapproprier son développement, son employabilité. En retour, sa relation à l’entreprise ainsi qu’à son encadrement s’en trouve altérée. Cet aspect influencera également ce nouveau jeu de relation et de négociation d’intérêts pas toujours convergents voire divergents.

L’encadrement intermédiaire n’est pas systématiquement prêt à ces nouveaux rapports de force et il ne peut les jouer seul, n’ayant pas toutes les cartes en main, l’entreprise en tant qu’institution non plus d’ailleurs.

D’autre part, celui-ci souvent issue du terrain, se reconnait plus dans une capacité à mener l’activité plutôt que les hommes. Sa passion et expertise pour un métier choisi ne l’ont pas aguerri à se retrouver du jour au lendemain projeté dans cette animation d’équipe où sa légitimité sera chahutée parfois contestée.

Nous sommes donc dans un contexte où chacun (individus et entreprise), pour des motivations différentes, souhaite plus d’autonomie sans s’accorder sur la définition ou la finalité de celle-ci :

  • D’une part, les individus, pour leur intérêt personnel et leur soif de reconnaissance voire d’indépendance sans toutefois qu’ils en mesurent l’exigence de responsabilité en retour.
  • D’autre part l’entreprise, pour répondre à un marché et/ou à un client plus volatil parfois changeant, insistant sur une capacité d’initiative immédiate, et donc de la réactivité et une adaptation avec un droit à l’erreur limité.

L’encadrement intermédiaire quant à lui, se retrouve au milieu devant parfois arbitrer de cette définition

Dans ce contexte, chahuté, quelle place donner à ce dernier ?

L’encadrement intermédiaire doit répondre à cette ambivalence de garantir une réactivité d’action et une qualité d’exécution qui n’ont pas toujours la même échelle de temps. En effet il a, à la fois, à monter en compétence des équipes dans le cadre de la stratégie dessinée par l’entreprise. Mais aussi à faciliter, voire laisser chacun à son initiative et autonomie avec des individus peu enclin à se laisser dicter une conduite par un cadre ressenti comme rigide. Une autre façon de le dire : comment conjuguer la performance attendue d’aujourd’hui et préparer le développement de demain avec des personnels turbulents et de plus en plus confrontants. « Se hâter lentement dira le poète ».

Que pouvons-nous apporter à cet encadrement intermédiaire face à cette nouvelle donne ?

Afin de pouvoir le stimuler mais aussi l’encourager dans cette tâche parfois ingrate, mais aussi excitante lui permettant ainsi de trouver ou retrouver sa place et sa légitimité, nous pouvons lui proposer 2 choses :

La première chose qui vient à l’esprit (sans doute une lapalissade) est d’accepter cet état de fait, cette nouvelle donne. Oui nous sommes dans une posture schizophrénique entre l’immédiateté de la réponse à un client versatile au nom d’une performance économique et la construction patiente d’une compétence, d’un savoir-faire et donc d’une véritable autonomie. Et cela avec des équipes s’illusionnant parfois ou souvent sur le mot liberté qu’elles brandissent comme un dû.

En synthèse, dans un premier temps, c’est accepter un jeu de tensions entre une indépendance exigée et une autonomie attendue.

Certains diront que c’est peut-être ça l’exemplarité, mais avant tout c’est surtout de la lucidité et de la clarté stratégique. L’encadrement intermédiaire doit pouvoir s’appuyer sur celles-ci pour mieux s’en inspirer.

La seconde chose, vouloir des équipes autonomes c’est accepter les jeux de négociations.

Le zapping permanent, la disponibilité exigée (open-space, chat, mail…) sans prise de recul, donnent le sentiment à l’encadrement intermédiaire d’être happé par le quotidien. Cet état de fait ayant pour conséquence des espaces de négociation trop souvent bâclés.

L’encadrement intermédiaire a besoin de respiration pour se sortir de ce quotidien et le regarder avec lucidité. Il a besoin d’être confronté et/ou conforté dans les situations rencontrées avec ses équipes, reconnu dans les choix qu’il opère.

Son hiérarchique, pris lui aussi dans l’opérationnel, ne trouve pas toujours ni le temps, ni l’espace à lui consacrer. Il parait alors nécessaire de se tourner vers d’autres moyens d’accompagnement pour permettre ces respirations qui pourraient lui permettre de développer son intelligence situationnelle.

Pour conclure, l’enjeu est là, regardons en face ce contexte et acceptons le, plus comme une opportunité que comme une difficulté. Ainsi l’encadrement intermédiaire pourra développer au-delà de son expertise métier un vrai leadership tout en tenant compte du temps nécessaire à sa réalisation. Comme disent les chinois, « Ce qui n’est pas fait avec le temps, le temps le défait ».

Alain Eteve
SARL Perspectives
L’entretien professionnel 1/2
Le droit et le management

M’abonner aux Dossiers d’experts

Formulaire à ajouter

Les derniers dossiers

Quand Twitter enlève sa liberté de parole à Trump : arbitraire ou arbitrage ?
Davantage de conscience et d’efficacité dans l’entreprise en conjuguant leadership et spiritualité
Et si la réussite d’une entreprise et son développement passaient par la responsabilité individuelle de ses salariés ?
L’organisation en mode réseau : Efficace à condition de changer notre façon d’être en relation
L’organisation apprenante : clef de l’agilité dans un monde instable