Quand le désir de liberté bouscule la nécessité d’engagement

Concrètement, le désir de liberté et la nécessité d’engagement sont-ils conciliables dans l’entreprise? Pouvons-nous répondre à ce paradoxe ? Qu’en est-il aujourd’hui, dans les entreprises où l’on prône un management dit « libéré » ?

On y entend :

  • de libérer les énergies,
  • qu’il faut laisser les initiatives s’exprimer,
  • ne plus contraindre, ni contrôler.

On y prône :

  • la suppression de la hiérarchie au profit « d’équipes autonomes ».

En parallèle le contrat de travail, les missions qui en découlent avec leurs conditions d’exécution, les indicateurs de résultats attendus, sont autant de paramètres qui impliquent l’engagement du collaborateur dans son travail et pour l’entreprise et inversement. Il en ressort une obligation d’être lié par contrat à l’entreprise et par le résultat, aux uns et aux autres. Cet engagement peut générer une sensation d’être « moins libres ».

A l’inverse, la liberté sans engagement ne met-elle pas l’individu dans l’illusion ? L’illusion de la Toute-puissance infantile ou de la folie du pouvoir absolu du monarque. Sans contrôle elle est inefficace et dévastatrice sur le long terme.

Nous sommes tous dépendants les uns des autres, donc liés les uns aux autres. C’est la nature du lien que nous devons regarder. S’engager sans liberté c’est de la docilité ou de la nécessité. Cela a été, ce n’est plus, les nouvelles générations sont en attente d’un nouveau modèle.

Paradoxe entre liberté et engagement ?

Revenons d’abord sur les définitions des deux mots, liberté et engagement. Pour cela appuyons nous sur Le Robert ou Le Larousse, ou tout autre dictionnaire encore, qui pourrait faire l’affaire. Je ne suis lié à aucun par engagement et donc je suis libre de choisir… si ce n’est, d’avoir celui-ci sous la main.

Que nous dit-il : Liberté : situation d’une personne qui n’est pas sous la dépendance de quelqu’un ou qui n’est pas enfermée. Pouvoir agir sans contrainte. Engagement : action de se lier par une promesse ou une convention.

En résumé, une personne libre n’est liée à rien, il s’agit d’un état de fait. A l’inverse une personne engagée est liée à (ou par) son engagement. Il s’agit là d’un état d’agir.

Alors comment faire pour associer Liberté et Engagement ?

Le libre choix, pour que cela ait du sens.

Dans un premier temps, j’ai la conviction que cela est possible, si l’engagement provient d’un choix plein et entier. Plus précisément d’un choix conscient, assumé, c’est à dire responsable.

Néanmoins ce choix ne peut se faire que s’il fait sens pour la personne et qu’elle en possède les moyens. En effet, aujourd’hui les raisons salariales ou ambitieuses ne suffisent plus pour justifier le lien de subordination qui régit toujours la relation entre le salarié et l’employeur ou le manager.

Le contrat de travail et donc le droit du travail implique une relation hiérarchique, cependant les nouvelles générations, comme je l’ai déjà dit, cassent ce paradigme pour créer une nouvelle donne dans les relations entre elles et l’entreprise.

Avant tout, chaque salarié attend que son manager lui indique le sens de la stratégie pour agir. Son adhésion ou non à celle-ci le confortera dans son choix assumé et responsable.

De la même façon, toute entreprise qui veut que ses équipes soient libérées et engagées, doit faire preuve de pédagogie quant au sens des actions qu’elle leur demande de mener chaque jour. « Les gens ne font bien que ce qu’ils comprennent ».

Si d’aventure l’entreprise venait à changer de stratégie, donc d’orientation, elle se doit d’en expliquer les raisons et le sens à ses équipes. Cette démarche ayant pour objectif que chaque salarié puisse s’approprier ou non ce nouveau cap, faire le choix de s’y lier ou de s’en délier en toute conscience, De s’engager ou de se désengager en personne responsable. Il a cette liberté de s’associer ou de s’exclure.

Le libre choix, pour que le risque soit assumé et formateur

Dans un deuxième temps, je transposerais ma réflexion dans le quotidien où l’engagement et/ou la liberté sont assujettis à d’autres paramètres que simplement celui du sens.

Tout individu, lors de situations qu’il rencontre, et parce que ces dernières ne peuvent pas être toutes anticipées, est appelé chaque jour, à agir et parfois prendre l’initiative (définition du Robert : qualité d’une personne disposée à oser).

Pour aborder ce point, arrêtons-nous quelques instants sur une anecdote racontée par un ami, ayant pour cadre un tournoi de tennis. A l’heure du repas, il a passé commande d’un menu comprenant un plat, une boisson et un dessert. Mais voilà, il n’y a plus de dessert. L’employé s’en excuse mais facture néanmoins la totalité du menu, dessert compris. Mon ami proteste et refuse, arguant qu’il n’a pas à payer un dessert qui n’est pas présent, ou demande à en avoir un autre de son choix. L’agent embarrassé, ne sait que faire et appelle son responsable.

Si nous regardons cette situation à l’aune de notre propos, l’employé ne s’autorise pas de prendre l’initiative. J’ai le sentiment que l’aspect «budgétaire » a retenu ce dernier dans le service qu’il avait à rendre à son client. A-t-il l’autorisation ou se la donne-t-il ? Quel cadre lui a-t-on donné ?

Cette situation nous ramène sur le fait qu’une initiative aussi bonne soit-elle, doit être regardée également sous l’angle de l’engagement budgétaire et plus largement réglementaire qu’elle suscite. Même si, le salarié est en parfait accord avec le sens de l’entreprise, est-il libre de s’engager et d’engager l’entreprise, pour un dessert sans doute, mais au-delà qui arbitre ? Lui seul, un collège de pairs, la hiérarchie ?

La liberté seule ne peut être invoquée, l’engagement financier ou réglementaire et donc la prise de risque qui en découle sont également à prendre en compte car ils suscitent un arbitrage du collaborateur dont il n’est pas mandaté. Reste à mettre en place l’instance d’arbitrage.

Enfin dans un troisième temps, l’initiative sous-entend un certain niveau de compétence, voire d’aptitude à tenir la responsabilité de sa fonction. Dans la situation évoquée, l’agent se sentait-il compétent et/ou apte pour décider…seul ? Quelle est la place du bon sens dans cette situation ?

Sur un plan plus général, l’individu a t’il les compétences pour agir et inversement répondre à cette maxime « ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connait, car tu pourrais ne pas t’égarer ».

La tarte tatin ou l’ange au sourire de la cathédrale de Reims sont-ils des erreurs ou des initiatives ? Les deux sans doute…Chaque collaborateur peut se demander « Ai-je dans mon entreprise, un cadre sécurisé pour me risquer, aussi paradoxal que cela puisse paraitre. Je suis compétent dans mon métier, néanmoins puis-je me tromper et réparer (la tarte tatin), ou désobéir en toute conscience au nom du sens (le sourire de l’ange).

Libre choix et engagement = une autonomie de la responsabilité

Pour conclure la relation entre l’entreprise et le collaborateur appelle un nouveau deal. Le salariat tel que nous l’avons connu est « mort » nous allons tendre vers un modèle « d’intrapreunariat » où chacun devient pour soi-même son propre employeur en interdépendance avec les autres. Un enjeu fort qui concerne chacun, collaborateur et entreprise. Cela ne pourra se concrétiser que sur une capacité d’autonomie.

Et nous terminerons cet article comme nous l’avons commencé : Autonomie (selon le Robert) : S’administre lui-même – Faculté d’agir librement – fait de se gouverner par ses propres lois.

En clair, du sens pour gouverner, des facultés pour agir…

Alain Eteve
SARL Perspectives
L’individualisme, cette liberté si mal assumée
L’entretien professionnel 2/2

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